Du 26 juin au 30 septembre 2024

En 2007, alors que je débutais comme photographe, j’ai été fortement marqué par le livre India Now : New Visions in Photography. Pour la première fois je découvrais, par le biais de la photographie, une image nouvelle et honnête de l'Inde. Dans son introduction, l’auteur Alain Willaume insiste sur le fait que l’Inde se trouvait à l’époque à un tournant historique : « photographes étrangers et indiens rompaient enfin avec une image post-coloniale, romantique et consensuelle de l’Inde » et affirme que « ce changement de perspective pourrait finalement s'avérer aussi douloureux pour les tenants d’une vision sentimentaliste que bénéfique pour une représentation critique du pays ».

À chaque instant, l’idée de l’Inde se fragmente et se recompose. Cette transformation est le résultat d'une force prodigieuse tirant le pays dans deux directions opposées, celles d'un passé fantasmé et d'un avenir imaginaire. Alors que d'autres grandes démocraties (notamment la France et les États-Unis) ont su repousser les forces anti-démocratiques qui les menaçaient, il n'en va pas de même pour l'Inde.

En 2006, Reporters sans frontières plaçait l’Inde au 105e rang du classement mondial de la liberté de la presse. Le pays est aujourd’hui tombé à la 161e place, témoignant de manière alarmante du déclin de la liberté d'expression et de pensée au sein de la société indienne contemporaine.

Dans cette exposition, je souhaite proposer au public français une série de portraits de mes compatriotes, qu’ils soient milliardaires, motards, jeunes écolières ou encore artistes. La plupart de ces photographies ont été réalisées afin d‘illustrer des articles consacrés à l’Inde dans des publications occidentales.

Chacun aime à croire que ses opinions sont le fruit d'une réflexion personnelle mais les médias jouent un rôle essentiel et influencent notre perception du monde. Je me retrouve à lutter constamment sur deux fronts : d’une part, il me faut contester et essayer de dépasser l’image d’une Inde exotique idéalisée par la presse internationale, et, d’autre part, je dois ménager la susceptibilité et la fierté de mes compatriotes, afin de proposer une représentation plus juste du pays. Je reste reconnaissant envers ces médias occidentaux qui m’ont offert l’opportunité de façonner ma propre vision de l’Inde moderne en embrassant toutes ses contradictions.

Thanjavur, Tamil Nadu, 2016

« Lors d’un reportage pour le magazine Travel+Leisure sur "Les splendeurs du Tamil Nadu", l’hôtel où je séjournais avait programmé un spectacle de la danseuse de bharatanatyam Deepthi Ravichandran à destination de ses clients européens. Une heure avant la représentation, j’ai demandé à Deepthi de m’accompagner au temple de Brihadisvara pour une performance improvisée. Le public, plus local, était alors constitué d’un groupe d’écoliers en excursion et d’un chien qui a dormi tout au long du spectacle. »

Mahesh Shantaram

Hong Kong, 2017

« Adolescent, mes uniques vacances en famille avaient été un tel désastre que je m’étais promis de ne pas réitérer l’expérience. Aujourd’hui dans la quarantaine, je chéris le temps passé avec les personnes âgées. Lors d’une visite d’un musée de Hong Kong, j’ai photographié ma famille dans une pose imitant un selfie et devant des références artistiques qui ne lui étaient pas familières. C’était pour moi la parfaite métaphore de l’Indien mondialisé. En 2020, le magazine Crédit Suisse Bulletin a repris cette image comme couverture de son numéro consacré à l’essor de l’Inde. »

Mahesh Shantaram

Mahesh Shantaram

Mahesh Shantaram (né en 1977) est un photographe basé à Bangalore en Inde. Il a débuté sa carrière en 2006 après un diplôme obtenu à l’école de photographie Spéos à Paris. À travers une photographie documentaire qu’il revendique comme personnelle et subjective, l’artiste s’intéresse à la diversité sociale et culturelle de l’Inde contemporaine.

En 2014, à la veille d’élections législatives très attendues, il réalise la série The Last Days of Manmohan, en référence à Manmohan Singh, alors Premier ministre. À la faveur d’un voyage à travers tout le pays, il documente le paysage politique de cette période mouvementée et la relation entre la classe politique indienne et la population, écho d’une démocratie défectueuse. Deux ans plus tard, The African Portraits, série récompensée du prix du livre photo de la Fondation Alkazi pour les Arts, explore la question du racisme dans la société indienne à travers l’expérience de la diaspora africaine. Puis, en 2018, la série Matrimania, consacrée aux mariages des classes aisées et moyennes indiennes, dépeint la complexité de cette tradition dont les cérémonies fastueuses participent à l’affirmation d’un rang social.

Signe de son engagement, dans le cadre d’une candidature pour le Master of Fine Arts à l’Université d’Ulster, l’artiste est allé jusqu’à travailler comme livreur de repas afin d’enquêter et de mettre en lumière la vie de cette profession vulnérable asservie par un capitalisme exacerbé.

Le travail de Mahesh Shantaram a été publié dans de nombreux journaux et magazines de renommée mondiale tels que GEO, Le Monde, New York Times Magazine, Bloomberg Businessweek, Foreign Policy, Vanity Fair, WIRED, TIME, Wall Street Journal, etc.

Kolhapur, Maharashtra, 2017

« Aflatoun est une organisation non gouvernementale qui accompagne les enfants en leur fournissant une éducation civique et financière. Pour illustrer un article sur les bénéficiaires de ce réseau qui possède 150 centres à travers le pays, le magazine Crédit Suisse Bulletin m’avait commandé une unique photographie en format portrait. En choisissant au hasard un village au centre de l’Inde, j’ai cherché à capter l’esprit de l’année 2017, au cours de laquelle des hommes puissants tels que Weinstein ou Mugabe ont vu leur règne prendre fin et un nouvel ordre s’instaurer. Je veux croire que ces filles innocentes, compatissantes et déterminées se dirigent vers un monde nouveau où elles pourront se créer un avenir plus juste. »

Mahesh Shantaram

Pune, Maharashtra, 2014

« Avec un électorat de 930 millions de personnes en 2024, les élections législatives en Inde constituent sans aucun doute le plus grand exercice démocratique du monde. Aujourd’hui, tout comme en 2014, les élections, parmi les plus importantes dans l’histoire de l’Inde, sont âprement disputées. Il est toutefois devenu impossible de faire confiance à ce qui est dit ou montré du fait d’un environnement médiatique fortement compromis. La série Les derniers Jours de Manmohan réalisée en 2014 lors d’un voyage politique sac au dos à travers le pays fait écho avec la situation actuelle. En me faisant passer pour un photographe politique du New York Times Magazine, j’avais réussi à infiltrer les cercles du pouvoir et à documenter le paysage politique de cette période tumultueuse. »

Mahesh Shantaram